27 mai 2019

Semaine nationale de l'accessibilité 2019: «Ma vie en mode discret» par Renée Yoxon

 

Durant la semaine nationale de l'accessibilité 2019, nous organisons un blogathon:blogs/vlogs par jour sur les sujets de l'accessibilité.

Découvrez ce blog par Renée Yoxon sur le fait d'être fier-ère et fort-e aux intersections d'être une personne non-binaire et vivant avec un handicap invisible.

 

Renée est un-e artiste non binaire, queer, en situation de handicap et ayant une maladie chronique. Iel est actuellement étudiant-e en composition de chansons à l’université Limerik en Irelande, professeur-e de chant pour les jeunes et futurs chanteurs. Iel est aussi membre de l’équipe des communications au Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (DAWN Canada).

 

 

Ma vie en mode discret

par Renée Yoxon

 

Que voyez-vous quand vous me regardez? Après une décennie de découvertes en matière de genre et de handicap, j’ai appris à être perçu·e comme ce que je suis. J'ai besoin d'être visible, fort·e et fier·ère.

Je vis avec une douleur chronique épisodique qui, pour la plupart des gens, même pour ceux qui me connaissent, donne l’impression que je suis parfois handicapé·e. Certains jours, je peux me déplacer sans effort dans la foule, sans aide à la mobilité et avec une démarche moyenne, et être facilement perçue comme une personne non handicapée. D’autres jours, mon gros déambulateur rouge fait état de ma réalité. Il est difficile d'expliquer aux gens qu'il n'y a pas de corrélation entre le fait de sembler être une personne sans handicap/en situation de handicap et mon niveau de douleur variable d’un jour à l’autre. Je ne suis pas occasionnellement handicapé·e, je suis handicapé·e en permanence. Je calcule toujours la distance entre mon stationnement et ma destination, je planifie mes déplacements en fonction des occasions de pouvoir m’allonger et j’y pense deux fois avant d’acheter une deuxième courge spaghetti car mon sac d'épicerie dépasserait légèrement la limite de ce que je peux transporter de façon sécuritaire. J’utilise parfois mon déambulateur afin d’éviter un épisode de douleur et il m’arrive de m’en passer lorsque la douleur que j’éprouve ne peut pas être gérée avec une aide à la mobilité. La douleur chronique et les handicaps en général sont incroyablement nuancés et personnels.

Je suis également une personne transgenre non binaire. Je ne me sens pas entièrement homme ou femme, mais il m’arrive parfois d’éprouver une connexion à ces deux genres. Tout comme avec mon handicap, on me prend pour une personne cisgenre ou transgenre d’un jour à l’autre. Les gens voient une femme lorsque mes cheveux sont longs et ils voient un homme lorsque je porte un gros manteau. On me perçoit rarement comme une personne non binaire. Les gens voient qui je suis dans certains espaces, mais jamais sans explications préalables.

Mon identité de genre et mon handicap me confrontent aux attentes des autres. La façon dont je suis traité·e quotidiennement dépend de la façon dont les autres me perçoivent. D'une part, le fait de passer pour une personne cis ou non handicapée présente des avantages, notamment d'éviter certains types de harcèlement de la part de ceux qui discriminent ouvertement les gens qu'ils jugent « différents ».

Mais dans l'ensemble, l'effacement de mes identités suscite beaucoup plus de harcèlement et cause beaucoup plus de problèmes que leur visibilité. Par exemple, j’ai été harcelé·e par des inconnus à plusieurs reprises pour avoir utilisé des accommodements – tels des places de stationnement accessibles et des sièges accessibles dans les autobus et le métro – auxquels, selon eux, je n’avais pas droit en fonction de mon apparence physique.

Si je veux être perçu·e en tant que qui je suis, je dois me livrer à des actes de divulgation quotidiennement. D’une certaine façon, je dois faire plusieurs « coming out » par jour. Au début de chaque session universitaire, je dois discuter avec mes professeurs de mon handicap et des accommodements dont j'ai besoin. Je dois également leur faire part de mon identité de genre et de mes pronoms afin de ne pas être mégenré·e de façon répétée pendant le cours. Ces deux conversations sont longues et impliquent généralement beaucoup d’enseignement, et c’est pourquoi je choisissais autrefois de n’avoir qu’une d'entre elles. J'avais l'habitude de me laisser mégenrer à répétition afin d’avoir droit aux accommodements dont j’avais besoin.

Ces divulgations répétées, de pair avec de fréquentes microaggressions, ont fait en sorte que je me sens obligé·e d'exagérer mon genre et mon handicap afin de répondre aux attentes des autres, d’éviter ce genre d’affrontement et d'accéder plus facilement aux accommodements dont j'ai besoin. Par exemple : je traine souvent une canne avec moi alors que je n’en ai pas besoin pour me défendre des « bons samaritains » dans les stationnements et les autobus; je ne me maquille pas quand je vais chez le médecin au cas où cela me ferait « trop bien paraître »; et je porte des vêtements amples qui cachent les courbes de mon corps et me donnent une silhouette plus « neutre ».

Voilà au moins dix ans que j’évolue dans l’univers du genre et du handicap, et tout au long de ces années, j'ai eu recours à de nombreuses stratégies d'adaptation afin d’adresser l’invisibilité de ces deux réalités. Cela m'a appris à développer une curiosité concernant le vécu personnel des autres et obligé à cultiver ma patience, et ce, surtout lorsqu'il s'agit d’éduquer ceux qui n'ont jamais entendu parler d'invalidité invisible/épisodique ou de genres non binaires. Je suis chanceux·se qu'à ce stade de ma vie, je sois employé·e en toute sécurité, logé·e et aimé·e par une communauté bienveillante, ce qui me permet de vivre haut et fièrement une vie authentique en dépit des obstacles que j’ai dû surmonter. Cependant, de nombreuses personnes trans et en situation de handicap n’ont pas ma chance et doivent continuer à naviguer un monde qui ne comprend pas leurs besoins ou leur valeur. Nous sommes beaucoup à devoir prétendre être quelque chose que nous ne sommes pas afin d’avoir droit à la sécurité et aux accommodements.