18 février 2020

Killing Me Softly: Trouble de panique et être une femme Noire

Portrait de Hermanie Desrosiers, une jeune femme noire

Par Hemanie Desrosiers

Avertissement de contenu: Mention du système médical, parents sans soutien, insulte f*lle

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— En raison des vacances des employés, vous ne pourrez que rencontrer une travailleuse sociale à l’automne, m’annonce l’agente administrative.

Désemparée sous le soleil éclatant du mois de juin, je perds mes repères. À l’annonce de cette nouvelle du CLSC de mon arrondissement, j’ai l’impression que des murs se referment sur moi. Je m’assoie au pied d’un arbre sur la rue dont je me trouve et je pleure. Mon visage est si mouillé qu’il est impossible de voir si c’était ma tristesse ou l’humidité qui me donne cet air désespéré. Comment me suis-je rendu jusqu’ici ? Comment l’anxiété est-elle devenue cette amie toxique dont je ne peux plus me séparer ? Je me lève avec lourdeur et je poursuis ma route. Je m’arrête de nouveau : quel chemin prendre désormais ?

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— Trouble de panique ? Depuis quand ? Je te croyais plus forte que ça, dit mon père fort surpris par l’annonce de mon diagnostic.

Suite à sa réaction, je me suis sentie comme une impostrice dont la réelle identité avait été démasquée. Dans ses yeux marrons ahuris j’ai vu mon reflet et il était loin d’être flatteur. Sur son visage, j’ai eu du mal à distinguer la pitié de la compassion. En un instant, son regard était devenu le reflet de mes peurs. La peur que les gens que j’aime et j’estime découvrent que j’ai passé des nuits éveillées à craindre l’avenir. La peur de réaliser que mes doutes sont réels et que je ne suis pas aussi brillante et extraordinaire que je tente de paraître. La peur de devoir avouer que pour des raisons illogiques je crains les tunnels, les ascenseurs, les bouches d’aération, aller dans l’espace, les saunas, les événements, les balcons et de regarder les gens marcher près des rails du métro. La peur d’avouer que pleurer, sans raison, fait partie de mon quotidien. J’ai éclaté en sanglot, de façon incompréhensible j’ai tenté de lui dire que j’avais besoin qu’il soit présent pour moi, même s’il ne comprenait pas ce que je vivais. Il m’a fixé et a changé de sujet.

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— Madame, vous ne faites pas de crise cardiaque, vous éprouvez de l’anxiété, dit l’infirmière du 811 à l’appareil.

Je l’ai envoyé promener et j’ai raccroché. Je me suis assise sur mon lit et j’ai pris mon pouls. C’est à ne rien comprendre, le rythme semble normal, mais je pourrais jurer que mon cœur va arrêter de battre. J’ai l’impression que je vais sombrer dans la folie. J’enfile des joggings et un coton ouaté et j’entreprends une marche dans mon quartier. La ville est endormie et c’est terrible comme je l’envie. Je marche furieusement jusqu’à ce que mes pensées ne puissent plus défiler, jusqu’à ce que je devienne un avec le décor.

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  • T’es ben intense !
  • Mais voyons t’es folle !
  • Tu trouves pas que t’exagères ?
  • T’es lourde. Ça fait un bout que t’es lourde en fait

Pour poursuivre dans l’exagération et l’hystérie dont on m’a déjà accusé d’être, chaque fois des paroles similaires ou exactes me sont dites, j’ai l’impression de me faire poignarder. À croire que je ne suis pas au courant que sans le vouloir je vis dans une tragédie irrationnelle de Racine. À croire que je m’amuse à ne pas dormir la nuit, à vivre dans la peur du lendemain, à questionner sans cesse mes actions, mes relations et mes interactions. À croire que j’apprécie l’idée d’être possiblement un fardeau pour les autres ?

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— Vous ne voyez pas que c’est peine perdue ? On se sabote tellement, à quoi ça sert de se battre, de vouloir aller mieux et de vivre ?, dit cet homme à ma rencontre de personnes souffrant d’anxiété, de dépression et de bipolarité.

Et s’il avait raison ? Et si ces rencontres n’étaient que pour nous consoler de notre sort fatal et inévitable ? On se prive tellement de simplement vivre, hanté par nos peurs et nos fantômes… Pourquoi continuer ? Parfois je pense comme cet homme et je chasse mes pensées, car je crois qu’elles sont des idées mensongères qui murmurent à mon oreille. Mais si ce n’était pas des mensonges, mais la troublante vérité ? Je regarde ma voisine qui semble aussi pensive suite à ce discours. Et si ensemble on faisait comme Nelligan et qu’on sombrait dans l’abîme du rêve ?

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— Être dépressif c’est un truc de Blanc. Personne n’est dépressif en Afrique. Les gens ne savent pas c’est quoi la misère, dit mon amoureux.

J’hésite entre mettre le feu à son appartement, le traiter de tous les noms ou lui expliquer la vie ? Le mainsplainning féminin est-ce que ça existe ? Par amour ou par besoin d’exprimer tout ce que je réprime depuis des mois, je lui explique en quoi sa réflexion est erronée. Je lui explique que de minimiser la souffrance psychologique des personnes de couleur c’est faire comme ceux qui ont mis en esclavage et coloniser nos ancêtres : c’est enlever notre humanité. Je lui explique que la souffrance n’est pas mesurable et que c’est effronté de dire à quelqu’un que sa détresse n’est pas réelle. Je lui explique qu’à cause des inégalités sociales dont nous sommes victimes depuis des lustres, nous sommes plus enclins à vivre des traumas et de la détresse psychologique. Je lui annonce qu’aucune richesse matérielle dans ce monde ne peut guérir le mal être d’une personne, peu importe d’où elle est originaire. Je lui explique que je souffre probablement d’anxiété depuis l’adolescence et que je suis aussi Noire que mes pairs. J’aurais dû mettre le feu à y penser.

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— En quoi obtenir ce diagnostic va te rapporter ?, dit mon médecin de famille.

Un an après avoir eu deux travailleuses sociales, deux psychologues et testé deux médications, elle doute encore de mon trouble. Ce n’est pas la première fois qu’un professionnel de la santé semble douter des symptômes que je rapporte. Après un an de pleurs, de remise en question, de changements et d’arrêts de travail, d’insomnie, de dialoguer et consoler mes parents sur ma santé mentale, je suis fatiguée. Je retiens mes larmes, je me penche vers mon médecin et j’exprime ce que je n’avais pas le courage de dire auparavant :

Lorsqu’on peut mettre des mots sur ce qu’on vit et sur ce qu’on ressent, on peut enfin entreprendre un travail sur soi et aller de l’avant. Obtenir mon diagnostic c’est me donner raison, c’est de m’admettre que je dois davantage me faire confiance face à ce que j’expérimente. C’est de me dire que l’anxiété ne fait pas partie de mon identité, mais c’est une épreuve que je vis pour une saison de ma vie, peu importe sa durée. C’est de trouver une communauté et de continuer d’avoir droit à des soins parce que ma vie en vaut la peine.

Elle a souri, a renouvelé ma prescription et m’a donné rendez-vous dans deux mois.

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— Anxieuse ou non, je vais toujours t’aimer et je serai toujours là pour toi. À mes yeux t’es géniale et il n’y a rien qui peut changer ça, me dit ma sœur avec tendresse.

C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre. C’est tout ce que toutes les personnes ayant des blessures visibles ou invisibles ont besoin d’entendre et de savoir. Aucun trouble ne peut altérer notre valeur. Aucun. Jamais.

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Hermanie Desrosier sest une afroféministe et une grande amatrice d'arts et de spectacles. Elle est présentement chargée de projets dans une firme de relations publiques.