29 mai 2019

Semaine nationale de l'accessibilité 2019: «L'accès aux soins» par Bára Hladík

 

Durant la semaine nationale de l'accessibilité 2019, nous organisons un blogathon:blogs/vlogs par jour sur les sujets de l'accessibilité.

Découvrez ce blog par Bára Hladík sur sur l'inaccessibilité physique, financière et bureaucratique des espaces médicaux.

 

Bára Hladík est une artiste, écrivaine et chercheure interdisciplinaire queer et en situation de handicap, née de migrants tchécoslovaques dans le territoire de Ktunaxa. Elle a joué et publié ses œuvres partout au Canada et aux États-Unis. Son livre Behind the Curtain a récemment été publié par Publication Studio. Elle est maintenant basée à Tiohtiá: ke, Montréal et fait partie de l’équipe des communications de DAWN Canada.

 

L’accès aux soins

Par Bára Hladík

 

Les soins sont-ils accessibles? Et pour qui?L'accès aux espaces médicaux fait partie intégrante de notre bien-être et de notre survie en tant que personnes en situation de handicap. Cependant, nous sommes souvent confrontées à des barrières lorsque nous tentons d’accéder aux espaces dédiés à notre communauté.

J'ai rendez-vous avec un rhumatologue environ tous les trois mois. Lors de ma dernière visite à l’Hôpital général de Montréal, je suis descendue de l’autobus 144 et j'ai tendu la tête pour voir l'imposante tour de l'hôpital qui se dressait au-dessus de moi. Je me suis demandée pourquoi un hôpital avait été construit tout près du sommet de la montagne, dans un endroit entouré de pentes abruptes. En marchant vers l'entrée, j’ai réalisé que j’avais trois paliers d'escaliers à monter afin de l’atteindre. Je n'étais pas la seule à descendre à cet arrêt avec une canne. J'ai vu trois autres personnes avec des cannes tenter la montée difficile de plus de 47 marches, s'arrêtant à environ toutes les quatre marches afin de reprendre leur souffle. J’ai vu l’une des utilisatrices de cannes, qui semblait être âgée d’environ 70 ans, presque s'effondrer dans une chaise à l'entrée principale, haletant pour reprendre son souffle. Quant aux personnes qui arrivent en taxi ou en auto, elles se rendent directement à l’entrée ou bien paient afin de se stationner, ce qui est à la fois pratique et accessible.

Il n'est pas rare que les utilisateurs d'autobus aient du mal à se rendre à l'hôpital car les arrêts de bus sont absurdement inaccessibles. J’ai visité de nombreux hôpitaux où l'arrêt de bus était à deux rues de l'entrée. La différence de quelques blocs pour une personne à mobilité réduite ou qui souffre beaucoup peut nous éviter de la douleur, de l’épuisement, de perdre du temps ou de devoir prendre un moment afin de récupérer.

Mais le fait d’arriver à la porte n’est que le début de l’histoire. Normalement, les espaces médicaux et gouvernementaux sont des labyrinthes complexes. Pour celles parmi nous qui sont en situation de handicap, qui ne peuvent pas payer le transport privé et/ou qui doivent se rendre à divers rendez-vous à différents endroits et à des heures précises, il est difficile de naviguer et d'arriver dans des espaces destinés qui, bien que destinés à favoriser notre santé, aggravent souvent nos symptômes.

En plus d'être physiquement inaccessibles, les espaces médicaux peuvent également s'avérer impénétrables du point de vue bureaucratique.

Je suis tombée malade à 18 ans, mais ce n’est qu’à 25 ans qu’on m’a donné le diagnostic de spondylarthrite ankylosante, une forme d'arthrite dégénérative, et de plusieurs autres comorbidités. Pourquoi? Car j’ai passé une grande partie de ces sept ans à tenter d’expliquer ce que je vivais à divers médecins. Je disais des choses comme « je perds ma capacité de marcher » et « je souffre énormément tous les jours ». Les professionnels de la santé m'ont répondu « la jeune fille que j’ai devant moi est en pleine santé, prends ces antidépresseurs, fais de l’exercice régulièrement et reviens me voir dans un an ». On m’a refusé des tests adéquats pendant plus de cinq ans car ils ne prenaient pas mon expérience au sérieux. Presque immédiatement après avoir consulté un nouveau spécialiste, j’ai reçu les tests appropriés et un diagnostic rapide.

Qu’est-ce que ce diagnostic a changé? L’accès.

Diagnostic en main, j’ai rapidement obtenu des papiers afin d’obtenir des prestations d’invalidité, un travailleur social, un ergothérapeute, des médicaments, des études et de la validation. Mes interactions médecin-patient sont passées du scepticisme à une maladie très grave.

Avant mon diagnostic, je n’avais ni renseignements, ni soins, ni accès. Je n'étais pas admissible aux prestations d'invalidité et je n'avais pas accès à des médicaments ou à un traitement, ce qui a considérablement augmenté ma capacité de fonctionner depuis. J’étais également incapable de communiquer ce qui m'arrivait à ceux qui m'entouraient car je n'avais pas accès au language nécessaire afin de décrire ce qui se passait avec mon corps. Le sous-diagnostic de la douleur chez les femmes est malheureusement une pratique médicale courante.

L'inaccessibilité bureaucratique est profonde et empêche souvent les personnes en situation de handicap de recevoir des soins et un soutien adéquats ou d'améliorer leur situation. Pourtant, la paperasse détermine souvent notre accès, remplaçant les conversations avec des professionnels qui répondraient plus efficacement à nos besoins.

Lorsque j'ai quitté la Colombie-Britannique pour le Québec, j'avais hâte d'améliorer ma situation en déménageant quelque part où les opportunités seraient plus nombreuses, mais le transfert de mon médecin ainsi que l’accès à l'aide au revenu et à la couverture médicale me stressaient. Il s’est avéré que ce sentiment était justifié. On m'a dit qu'il faudrait environ trois mois afin de tout transférer mes dossiers. Cela a pris beaucoup plus de temps et m’a placée dans une situation précaire. J'ai finalement rencontré une infirmière qui travaillait avec un médecin, un spécialiste, et qui remplissait les papiers nécessaires à la couverture de soins de santé de base. Mais lorsqu’est venu le temps de traiter du financement des médicaments que je prenais par le gouvernement du Québec, on m'a refusé parce que je ne m'étais « pas suffisamment améliorée » sur le document de l'échelle de douleur allant de 1 à 10 en prenant les médicaments que je prenais déjà près de deux ans.

Ce médicament m’a permis de passer de rester prise à la maison à pouvoir occuper un emploi à temps partiel. S'il y avait eu une conversation entre la Régie de l'assurance-maladie du Québec et moi, ce fait aurait été clair. Cependant, on m'a plutôt dit de remplir une seule feuille de chiffres sans m’informer des conséquences de ce que j'inscrivais dans le document.

La vie des personnes en situation de handicap est placée sous le regard de trois institutions : les institutions médicales, le gouvernement et les sociétés pharmaceutiques. Naviguer la bureaucratie, les interrogations, les rendez-vous, l’aspect économique de notre condition et les symptômes de notre handicap est un travail à temps plein, invisible et non rémunéré. Tandis que nous luttons pour le droit non seulement de vivre nos vies, mais aussi de nous épanouir, les gens assument que nous sommes « paresseuses », « passives » et que nous ne « contribuons pas à la société ».

Pour que quelque chose soit accessible, les intersections de notre vie quotidienne doivent être considérées : la façon dont nous gérons les espaces publics; les circonstances réelles et vécues et les intersections de nos identités et de nos handicaps; et la manière dont nous sommes confrontées à la bureaucratie de plusieurs institutions complexes. L'accès doit prioriser la réalité multiforme des personnes en situation de handicap en tant qu’individus qui sont probablement déjà trop épousés à force de naviguer les systèmes complexes qui régissent nos vies.